Pour l’essentiel, les formations au management, proposées aujourd’hui, reposent sur le partage d’outils et de savoir-faire, basés sur des concepts, des grilles de lecture, des pratiques d’un autre siècle. Des concepts conçus pour produire plus, de la même chose, plus vite, sans état d’âme, dans un monde hors sol.
« Dans cette entreprise, même par zoom, j’ai senti que l’on ne rigolait pas. L’échange avec la DRH était glacial. Comme si le fait d’être froid et glacial, était une garantie d’efficacité. Cela m’a confirmé que ce n’était plus dans ce genre d’univers, que je souhaitais continuer mon parcours » propos d’un jeune ingénieur.
Nous le savons, ces pratiques nous mènent dans l’impasse. Et pourtant les « business cases » (cas d’école) encore utilisés aujourd’hui, pour former les étudiants, sont les mêmes que. ceux qui sont à l’origine de l’émergence de nouvelles maladies socio-professionnelles, appelées les « pathologies psychosociales ».
Une situation qu’Edgar Morin résume par ces mots :
« La connaissance est aveugle quand elle est réduite à sa seule dimension quantitative, et quand l’économie comme l’entreprise sont envisagées dans une appréhension compartimentée. » (L’heure de changer de civilisation)
La Tribune, 11 février 2016.
Difficile d’en vouloir aux Managers, qui pour la plupart d’entre eux, ont d’abord été experts avant d’être promus, sur la base de leurs résultats, responsables équipes ou pilote de projets. Ces évolutions se font, la plupart du temps, sans réel accompagnement, encore moins en conscience des changements de pratiques, de regards, et surtout de posture, que cela nécessite. Comment passer de métiers qui privilégient les « savoir-faire », vers des métiers orientés sur les « savoirs être ».
« L’art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette, pour ne pas gêner l’orchestre ».
Herbert von Karajan
Que se passe-t-il pour ces managers, hommes ou femmes lorsqu’ils/elles prennent leurs fonctions, sans n’avoir été ni préparés, encore moins formés à gérer les principes qui sous-tendent la vie ,y compris celle d’une organisation ? Quels impacts vont-t-ils/elles avoir sur leurs organisations ? Leur fonctionnement, leur efficacité, leur capacité à dépasser les tensions ? Et bien sûr, vis-à-vis des hommes et des femmes qui la font vivre, leur santé, leur motivation ?
Encore aujourd’hui, les situations presque pathologiques de tensions, de non-dits, de rancœurs, de phénomènes de bouc émissaire, se multiplient. Les managers n’ayant pas les compétences pour mobiliser, donner envie, ouvrir et animer les espaces de régulation nécessaires, se trouvent confrontés à un étonnant paradoxe. Ils passent plus de temps à gérer les problèmes qu’ils ont souvent eux même généré, plutôt que d’animer des équipes et d’accompagner ses membres dans leur évolution.
« Cela à durer 5 ans. Les gens sortaient en pleurant de ses réunions. Personne n’osait rien dire. Je ne suis même pas sûr qu’elle s’en rendait compte. Aujourd’hui, je suis encore mal à l’aise en y repensant ». propos d’une DRH adjointe d’une grande société d’énergie.
Un Manager limité par ses croyances, en difficulté avec ses émotions, va privilégier un mode relationnel « ego-systémique » : moi au centre, les autres autours, là où il serait intéressant de privilégier un mode relationnel « écosystémique », nous ensemble.
Il n’aura ni le recul, ni le juste regard, pour évaluer les situations auxquelles il est confronté et y répondre de la façon la plus juste. Ou comment passer de « moi » au centre, reconnu pour mon expertise, à « nous ensemble », reconnu pour ses qualités relationnelles ?
Comment créer les espaces de confiance nécessaire afin que les égos moteur de nos premières parties de parcours professionnels se diluent peu à peu, et trouvent leur juste place au sein des « écosystèmes » de l’entreprise ? Comment permettre à l’essentiel de prendre le pas sur l’important.
Le psychiatre C. Gustave Jung a identifié 4 étapes qui jalonnent notre évolution intérieure, autant que notre parcours professionnel et l’évolution de notre regard sur le monde.
- La dépendance (besoin de l’autre pour vivre),
- La contre-dépendance (besoin de se confronter à l’autre pour exister),
- L’interdépendance (savoir entrer en relation et ouvrir des espaces de dialogue)
- L’indépendance, marque des esprits libres et réellement créatifs.
On ne peut qu’être inquiets de ces jeunes diplômés, parfois nommés Manager alors qu’ils maîtrisent à peine leurs savoir-faire. Ils risquent de se trouver en difficultés, pour gérer les tensions qu’ils pourraient inconsciemment eux-mêmes déclencher. Et que penser de ces Managers, imperméables aux notions d’intersubjectivité de dialogue voir même de relations, qui ne construisent leur autorité, qu’à travers la maitrise de leurs expertises ?
Plus qu’une formation, apprendre à conscientiser les principes du vivant en soi, et autour de soi, est une nécessité vitale, pour qui veut libérer l’énergie et les potentiels de ses collaborateurs afin de préparer son entreprise aux enjeux de demain.
« Prenez une bonne dose de métier, une certaine quantité d’art et un peu de science, vous aboutirez à un travail qui est avant tout une PRATIQUE. Le management est efficace quand il permet à l’art, au métier et à la science de se rencontrer. »
Henry Mintzberg, Managers Not MBAs – 2004